Consultante et formatrice en gestion créative et en entrepreneuriat artistique

Art et marketing – choisir une approche adaptée au secteur culturel

« Les Amateurs d’Art »
par Honoré Daumier, Musée des Beaux Arts, Montréal

Dès l’instant où nous souhaitons qu’une œuvre soit diffusée, commentée, subventionnée, commanditée ou même acquise, le marketing artistique et culturel entre en jeu. Toutefois, la science du marketing est complexe et fait souvent mauvaise figure parce qu’il arrive que nous l’associions à de la manipulation mais aussi, parce qu’elle renvoie presque automatiquement à une société axée sur le capitalisme. Or, toute focalisation sur des aspects financiers ne saurait aller de pair avec les particularités du milieu des arts et de la culture. Par conséquent, les stratégies utilisées pour développer l’intérêt des publics envers les arts et la culture doivent tenir compte des différences marquées entre ses réalités propres et celles d’une entreprise dont le but premier est la rentabilité financière. Aujourd’hui, nous entendons fréquemment parler de « médiation culturelle », une stratégie de mise en relation entre le public et les arts agissant également comme une forme de marketing culturel.

À travers cet article, je tenterai de vulgariser une approche en marketing régulièrement utilisée pour les arts : celle orientée vers le produit. Pour ce faire, j’userai d’un exemple réel impliquant un duo d’artistes reconnus à l’international. Tout d’abord, selon vous, pouvons-nous nommer « produit » une œuvre d’art ou un spectacle musical par exemple? Si je lance cette question, c’est qu’à plus d’une reprise, des personnes m’ont dit se sentir choquées par cette appellation. Bien entendu, si la première idée qui vient à l’esprit en entendant parler de « produit » est l’image d’un objet manufacturé et réalisé en chaîne de montage, les chances de considérer le terme inadéquat dans un contexte culturel et artistique sont nettement plus élevées.[1]

Quoi qu’il en soit, en marketing des arts et de la culture, l’utilisation du mot « produit » sert à désigner tout ce qui englobe œuvres d’art, spectacles et performances (danse, musique, théâtre, etc.), expositions, salons, symposiums, livres et magazines, chansons, œuvres littéraires, œuvres des métiers d’arts, etc.…

De façon générale, toute activité de marketing implique quatre principaux éléments:

  1. Un besoin du consommateur (exemples liés aux arts : besoin de s’entourer de beauté, de rêver, de se distraire, de s’inspirer, de socialiser, de s’éduquer, etc.);
  2. La satisfaction du besoin en question;
  3. Un lien entre l’entreprise ou l’organisme (l’artiste, le diffuseur, l’éditeur, etc.) et le consommateur (le spectateur, le lecteur, le collectionneur, etc.);
  4. La recherche de l’optimisation du profit de l’entreprise (à ne pas confondre avec la maximisation des profits). Ici, optimisation veut dire obtenir les meilleurs résultats (qui ne sont pas nécessairement financiers[2]) en tenant compte d’éléments organisationnels ou environnementaux.[3]

Dans les secteurs artistiques et culturels, il y a deux grandes approches à l’égard du marché que l’on souhaite rejoindre :

  1. L’orientation vers le produit: approche où l’on considère que c’est à l’artiste (ou à l’organisation culturelle) de proposer une œuvre (un spectacle, un livre, etc.) et « au consommateur de s’y adapter[4]».
  1. L’orientation vers le marché: approche où l’on cherche à répondre aux désirs du consommateur, ce qui implique de modifier le produit si nécessaire.[5]

Généralement, un artiste crée une œuvre en fonction de ce qu’il souhaite exprimer, de ses propres critères esthétiques, d’une démarche qui lui est propre, d’une technique qu’il maîtrise, etc. Pour cette raison, dans cet article, j’expliquerai essentiellement l’approche centrée sur le produit. Cette dernière implique que l’artiste (ou l’organisation culturelle) « place au cœur de ses préoccupations le produit pour lequel il existe[6] ». Le défi réside donc dans la nécessité de trouver un public, un acheteur  ou encore, un diffuseur  pour l’œuvre (ou autre projet artistique) en question.

Certes, un même artiste ou une organisation culturelle peut user des deux approches, selon le contexte.   Par exemple, un peintre qui conçoit généralement de très grands tableaux pourrait décider de s’adapter à une certaine part du marché en réalisant des séries de petits formats, plus abordables pour un bon nombre de personnes. En fait, cela arrive très souvent. Plusieurs artistes le diront : « il faut bien mettre du beurre sur son pain! »

Cliquez sur l’image pour l’agrandir:

Caractéristiques de l'économie de la culture

L’exemple que j’ai choisi de vous présenter pour illustrer l’approche orientée vers le produit est l’exposition Akousmaflore ; Regards numériques sur le vivant du duo d’artistes Scenocosme (composé de Grégory Lasserre & Anaïs met den Ancxt).

Vous pouvez visiter leur site web  en cliquant: ICI

Akousmaflore est une installation de végétaux musicaux sensibles qui interagissent avec la participation des visiteurs. L’œuvre combine à la fois biologie végétale et technologie numérique. Dans le présent cas, les artistes cherchent à intéresser le public à leur « produit » qui, d’un premier abord, adopte l’allure d’un banal jardin intérieur composé de plantes vertes suspendues.[7]

Traitant du design de l’invisible en le rendant audible, l’installation du duo d’artistes est constituée de véritables plantes musicales réagissant aux frôlements et dont les données se modifient selon les interventions des visiteurs à travers la salle.[8]

Les créateurs du concept soulignent les mérites de leur « produit » pour que nous nous y intéressions au point de le « consommer », c’est-à-dire de nous déplacer pour participer à l’exposition interactive. Ils font ce que nous appelons de la réalisation de valeurs (voir la figure des caractéristiques de l’économie de la culture). L’efficacité de leur approche marketing orientée vers le produit se reconnait notamment au fait que l’installation fut présentée, à ce jour, à plus de 70 reprises dans plusieurs pays d’Europe, au Canada, en Corée, aux États-Unis, en Australie, en Chine et en Turquie.

En somme, les concepteurs d’Akousmaflore cherchent à vendre la « démarche » derrière l’aspect visuel de l’installation mais aussi, l’expérience. Bien entendu, un simple jardin intérieur constitué de plantes vertes serait susceptible d’intéresser quelques individus, mais ici, c’est l’originalité et l’aspect novateur du concept qui sont mis de l’avant. À travers la présentation du projet (incluant textes, vidéos, etc.[9]), les créateurs sont centrés uniquement sur leur œuvre et semblent essentiellement s’appuyer sur une description élogieuse et captivante de celle-ci pour nous convaincre.

Ils présentent, entre autres, la notion d’interactivité par laquelle l’œuvre existe et évolue, grâce à la participation des spectateurs. Ils nous invitent à explorer les relations invisibles que nous entretenons avec notre environnement, en particulier les flux énergétiques infimes des êtres vivants ou ce qu’ils appellent le « design de l’invisible ».[10]

Ils utilisent, pour décrire leur produit, des termes qui piquent la curiosité, qui interpellent et qui provoquent le questionnement dans le but de créer chez l’individu, un besoin dont il n’était peut-être pas conscient au départ. Par exemple, les deux artistes mentionnent l’existence de notre aura électrostatique, invisible à l’œil nu et qui agit sur les ramures végétales pour nous offrir l’expérience unique d’un environnement réactif à notre propre existence. Ils proposent aux spectateurs de caresser et effleurer les plantes afin qu’elles se mettent à chanter.[11]

Toujours dans l’optique de pousser leur produit vers le consommateur, Scenocosme présente les plantes de son installation comme des instruments de musique sensibles qui offrent au visiteur, la possibilité de composer une « orchestration florale ».[12] Ainsi, le duo nous convie à vivre des expériences sensorielles extraordinaires et uniques.

En aucun cas, les deux créateurs ne se tournent vers le marché. Ce qui les intéresse, c’est de présenter au public le résultat de leurs recherches portant sur nos relations énergétiques invisibles avec d’autres êtres vivants. Que leur stratégie de marketing soit élaborée ainsi de manière consciente ou pas, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un bel exemple d’approche orientée vers le produit particulièrement efficace.

Mais attention, cette démarche comporte des risques. En effet, il est possible de ne pas capter l’attention du public en lui proposant, par exemple, un événement qui ne correspond pas à ses besoins, à ses goûts ou encore, de rater la cible en usant d’une stratégie de marketing inadéquate, peu créative, voire inexistante. Il faut donc déployer des efforts considérables pour attirer un public qui a l’embarras du choix face aux innombrables propositions issues des sphères artistiques et culturelles.[13]

Afin de fournir des pistes, voici quelques résultats d’études[14] à considérer lorsque nous souhaitons mettre de l’avant une œuvre, une exposition ou tout autre produit artistique et culturel :

  • Les visiteurs passent davantage de temps dans les expositions lorsqu’elles recourent à des outils d’interprétation qui stimulent les discussions avec d’autres personnes (cela explique la popularité grandissante des activités de médiation culturelle);
  • L’usage des nouvelles technologies dans les projets artistiques et culturels attire de nouveaux publics curieux;
  • Proposer à tout coup une expérience unique tend à fidéliser les consommateurs d’art et de culture;
  • Les visiteurs « se rappellent mieux les expositions interactives car ils ont été capables de décrire leurs pensées et ce qu’ils ont ressenti plus de six mois après la visite ».[15] Nous pouvons donc supposer qu’ils auront davantage tendance à en parler positivement à leur entourage.

Justement, que dire de la bonne vieille stratégie du bouche-à-oreille? Selon les experts en marketing Bernard Motulsky et Harold Simpkins, il s’agit d’une méthode très efficace et peu coûteuse, à condition de ne pas lésiner sur les détails et de savoir se bâtir une solide et durable réputation.[16] Par conséquent, les recettes miraculeuses n’existent pas.

Ainsi, je me plais à comparer le marketing des arts et de la culture au jardinage parce qu’il exige énormément de constance, d’efforts, de soins, d’attention et de persévérance avant d’obtenir les résultats souhaités, de les maintenir et même, de les surpasser. Il faut également se rappeler cet aspect primordial souligné par le spécialiste Harold Simpkins : « C’est important de répondre aux attentes que vous créez, sinon le bouche-à-oreille négatif se répand rapidement.[17] »

En terminant, voici pour les intéressés, une vidéo qui fournira davantage d’explications (et peut-être de l’inspiration) sur le marketing culturel :

Source : RTBF (15/11/2013). Tous droits réservés. Ressource mise en ligne à des fins exclusivement pédagogiques en s’appuyant sur le droit de citation.

 

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Texte: Tous droits réservés. Copyright. © 2015-2017. Caroline Houde.


Sources (et notes):

[1] Voir les différentes définitions pour le mot « produit » dans : Dictionnaire de français Larousse, Définition du mot Produit, [En ligne] < http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/produit/64136&gt;, page consultée le 20 juillet 2015.

[2] À titre d’exemple, un artiste en art visuel pourrait tirer avantage à voir diffuser ses œuvres dans des lieux particulièrement reconnus, ce qui serait « profitable » au niveau de sa crédibilité et de la reconnaissance de ses pairs. Il pourra donc viser l’atteinte de ce « profit » à l’aide d’une stratégie adaptée…et du talent bien entendu.

[3] Colbert, François et Suzanne Bilodeau, Le marketing des arts et de la culture (3e éd édition, xviii tome), Montréal, G. Morin/Chenelière Éducation, 2007, p. 2.

[4] Ibid. p. 6-7.

[5] Ibid. p. 6-7.

[6] Ibid. p. 7.

[7] Houde, Caroline, «Une vision marketing », travail de recherche remis à M. Jean-François Poirier (note obtenue : 100%), Cours MNG-2602 Gestion d’un événement, Québec, Université Laval, Faculté des Sciences de l’Administration – Département de management, 2013, p. 7-8.

[8] Scenocosme, Akousmaflore ; Regards numériques sur le vivant, [En ligne] < http://www.scenocosme.com/akousmaflore.htm>

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Ibid.

[13] Prouvost, Bénédicte. Expériences participatives, Infopresse, Vol. 24, no 5, janv.-févr. 2009, p. 14-18.

[14] H. Courvoisier, François et Antonia Jaquet, L’interactivité et l’immersion des visiteurs: Nouvel instrument de marketing culturel, Décisions Marketing, No. 60 (Octobre-Décembre 2010), pp. 67-71. [En ligne] < http://www.jstor.org/stable/41474206&gt;

[15] Ibid.

[16] Reynaldo Marquez, « Le bouche à oreille, ça rapporte! », Les Affaires, le12/11/2010, [En ligne] <http://www.lesaffaires.com/strategie-d-entreprise/vente-et-marketing/le-bouche-a-oreille-ca-rapporte/520488&gt;.

[17] Ibid.

5 réponses à “Art et marketing – choisir une approche adaptée au secteur culturel”

  1. edwidgedm

    Merci Caroline pour cette rêflexion très intéressante … Pour surenchérir un de tes propos, il est vrai que de considérer les oeuvres comme de simples objets demande pour l’âme artistique une certain cheminement. Pour être moi-même en train de silloner dans cette traversée, je constate avec plaisir que ce concept m’offre un certain détachement aux oeuvres que je fais … Et donc de les laisser quitter l’atelier plus rapidement ! Autre anecdote : j’ai eu la chance de participer à une de leurs expositions il y a de ça presque 10 ans déjà et bien que je n’avais pas mémorisé le nom des artistes je me rappelle encore de l’expérience et j’en parle encore ocasionnellement… Leur travail laisse des trâces . Encore merci à toi !

    Réponse
    • Caroline Houde

      Bonjour Edwidge,
      Merci d’avoir pris le temps de partager un commentaire. 🙂
      Je suis curieuse, a quel endroit as-tu eu la chance de voir l’exposition Akousmaflore? En tout cas, c’est vraiment apprécié que tu puisses appuyer les propos du texte en évoquant ton souvenir de l’expérience, encore présent après presque 10 ans.
      Si je peux me permettre une petite nuance, nous entendons souvent parler de production artistique, ce qui semble bien convenir…mais le terme produit a tendance à nous déranger. Pourtant, l’art est le produit de la créativité de l’homme, de son imagination, etc. Production et produit sont des mots de même famille. Mais il est vrai que spontanément, c’est généralement loin d’être une œuvre d’art, une exposition ou une œuvre littéraire qui nous vient à l’esprit quand on pense à un produit. Mais bon, je comprends que les spécialistes du marketing culturel ne peuvent pas non plus énumérer à chaque fois tout ce qu’englobe les arts et la culture qui sont des univers si vastes. Le plus simple est de parler de produits artistiques et culturels. 😉

      Advenant que le sujet t’intéresse, je suggère la lecture de l’ouvrage « Le marketing des arts et de la culture » de François Colbert, professeur au HEC de Montréal. Il est reconnu internationalement comme une référence dans le domaine du marketing culturel.

      Merci beaucoup Edwidge et au plaisir!

      Réponse
      • edwidgedm

        Bonjour Caroline, c’est au Belgo à Montreal que j’avais expérimenté leur travail. En tout cas je pense bien c’était eux, puisque c’est véritablement le même genre d’installation. Si mes souvenirs sont bons, c’était je crois une expo collective mais seul ce travail m’a laissé une empreinte … Merci pour le référence du livre le sujet est pertinent, les nuances et les jeux de mots que tu apportes le sont aussi. Je suis convaincu que reconnaitre que les oeuvres d’art sont des produits et d’être capable d’appliquer les concepts et stratégies marketing aux productions artistiques n’enlève rien à la qualité du travail en tant que tel ni à l’engagement que l’artiste peut avoir. Appliquer les stratégies peut au contraire ouvrir à la visibilité, à l’accessibilité et donc au marché et donc aux revenus et donc pouvoir vivre de son art à temps plein de façon autonome … Et est-ce que ce n’est pas ce que tout artiste désire ??? Je ne sais pas d’où vient le malaise et l’hypocrisie qui existent face à l’argent mais l’artiste n’a pas besoin de vivre de pain et de misère pour être artiste …. En tout cas je crois bien que je pourrais réfléchir longtemps sur ce sujet, cette réflexion mérite d’être discuté longuement autour d’un bon repas arrosé …. Lool. C’est un plaisir de partager tes propos si pertinents … Belle journée et au plaisir …

  2. Caroline Houde

    Bonjour Edwidge,
    Merci pour ta réponse et commentaire sur le sujet. Effectivement, on sent parfois bien le malaise. Tout ça est très complexe, ce qui fait en sorte que ça pourrait finalement se transformer en de multiples repas bien arrosés avant de faire le tour du sujet… 😉 Je blague, mais n’empêche que ça donnerait certainement de beaux débats. 🙂

    Bonne fin de semaine et au plaisir!

    Réponse

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