Artistes et travailleurs culturels : avancer et se développer malgré l’incertitude
Il y a longtemps que les secteurs artistiques et culturels figurent parmi les plus incertains. Il s’agit d’ailleurs d’un sujet ayant déjà été abordé sur ce blogue et maintes fois dans le cadre de mon travail en formation et en accompagnement individuel. Certes, ma situation de travailleuse culturelle indépendante et de mère monoparentale contribue à l’intérêt marqué que je porte aux pratiques en gestion dans un contexte d’incertitude élevée. Toutefois, je m’y intéresse d’abord parce que le sujet me passionne et qu’au cours des dernières années, de nombreux artistes m’ont parlé de leurs difficultés à composer avec certaines incertitudes et réalités associées aux carrières en art et en culture.
Or, dans le contexte actuel combinant à la fois crise sanitaire, écologique et économique, nous vivons des chamboulements sans précédent. Par conséquent, il devient de plus en plus difficile de se projeter dans l’avenir, même pour des artistes et des travailleurs culturels généralement plus tolérants face à l’incertitude et l’ambiguïté.
Alors, comment parvenir à développer sa carrière ou ses projets en dépit d’un niveau particulièrement élevé d’incertitude?
Bien entendu, je ne dispose d’aucune boule de cristal me permettant de prévoir l’avenir. Je fais face aux mêmes incertitudes qu’un grand nombre d’artistes et travailleurs culturels parmi vous. De plus, je ne crois pas aux recettes miracles applicables à chacun, surtout pas en gestion. Néanmoins, je propose de partager dans les lignes qui vont suivre, quelques-unes des notions de base que j’estime particulièrement utiles dans les circonstances.
Pour ceux et celles qui souhaiteront aller plus loin, vous trouverez tout au long et à la fin de ce texte les sources ayant servi à le documenter. D’emblée, je me suis inspirée de mes propres expérimentations en tant que travailleuse autonome. J’ai également relevé, à travers mes observations découlant de centaines de rencontres avec des créateurs de toutes disciplines, des récurrences parmi les pratiques et états d’esprit cultivés chez ceux et celles parvenant le mieux à gérer et développer leur carrière, malgré l’incertitude. Évidemment, je vous invite à prendre uniquement ce qui fait écho en vous-mêmes, selon votre situation.
Les idées préconçues concernant la gestion dans les secteurs et des arts et de la culture
Dans un premier temps, j’aimerais préciser que les résistances et idées préconçues concernant la gestion m’apparaissent encore nombreuses chez certains travailleurs autonomes des secteurs artistiques et culturels. Trop souvent il me semble, la gestion est associée à la rationalité pure et dure, au monde de la finance, aux « chiffres » et à la rentabilité. Selon moi, cette perception est réductrice et éloignée de la réalité, surtout dans la sphère artistique. Certes, obtenir du financement, tirer des revenus et gérer un budget pour mener à bien un projet demeurent des incontournables pour un artiste ou un travailleur culturel. S’occuper d’être à l’ordre du point de vue juridique et fiscal également. Toutefois, la gestion concerne tous les aspects de nos vies et ce que nous choisissons d’en faire : temps; santé; création; vie familiale; loisirs; projets; imprévus; réseau social et professionnel; etc.
Personnellement, j’aime aborder la gestion comme étant un ensemble de prises de décisions et d’actions visant la réalisation de mes rêves et objectifs, quels qu’ils soient. Par conséquent, je garde toujours en tête que tous les aspects de ma vie sont interreliés et ont une incidence sur un autre. Tout a un lien de cause à effet. Bien entendu, la gestion implique certaines prises de risques et des choix parfois difficiles à faire. Cela est loin d’être simple, mais je perçois le tout comme un défi stimulant.
L’auteur et docteur en psychologie Jacques Van Rillaer propose une définition similaire. Pour lui, la gestion « désigne généralement un ensemble d’activités réfléchies et efficaces en vue d’objectifs choisis en connaissance de cause, compte tenu des réalités. » [1]
Étant d’abord considérée comme une pratique plutôt qu’une science, une gestion efficace découle d’expérimentations servant à identifier les façons de faire nous permettant de nous réaliser au mieux, en fonction de notre réalité et de nos objectifs en constante évolution. Ceci dans un environnement en perpétuel changement. Faire preuve de créativité est donc primordial. Cela explique qu’en réalité, de nombreux artistes s’avèrent d’excellents gestionnaires. À ce sujet, j’aime bien citer un exemple exceptionnel de gestionnaires de projets que plusieurs connaissent: les artistes Christo et Jeanne-Claude.
D’ailleurs, le québécois Henry Mintzberg, l’un des théoriciens de la gestion parmi les plus réputés à travers le monde, a une façon de présenter la gestion qui saura peut-être rejoindre les plus sceptiques des artistes. Dans son livre « Gérer dans l’action », il mentionne :
« La gestion applique la science : en effet, les gestionnaires doivent utiliser le savoir qu’ils possèdent. Toutefois, la gestion efficace découle davantage de l’art, et particulièrement de l’artisanat. L’art produit la « compréhension de soi » et la « vision », qui s’inspirent de l’intuition. Quant à l’artisanat, il consiste à apprendre par l’expérience : le gestionnaire voit aux choses au fur et à mesure qu’elles se présentent. »[2]
Henry mintzberg
Il mentionne également qu’il n’est absolument pas nécessaire d’être une personne extraordinaire pour être un gestionnaire accompli. En résumé, il suffit globalement d’être lucide, de savoir réfléchir par soi-même et de comprendre clairement les mythes de la gestion. [3]
Voici donc quelques suggestions et notions de base pour adapter plus aisément et efficacement sa gestion, dans un climat d’incertitude:
- Développer une pensée critique
En gestion, le développement de la pensée critique est fortement encouragé pour prendre des décisions éclairées. Cela permet notamment de simplifier les choix que nous devons constamment effectuer pour nous développer. [4]
La pensée critique consiste essentiellement en une combinaison de curiosité et de volonté d’apprendre, d’attitude critique menant à se poser des questions et aussi, de discernement. Elle « met en œuvre un ensemble de capacités (d’observation, d’analyse, d’évaluation, de formulation…). »[5] Elle permet également de s’accorder au contexte, à l’environnement, mais aussi, « de se positionner face à ce qui sort de l’ordinaire. » [6]
En s’informant régulièrement sur l’environnement en perpétuel changement dans lequel nous évoluons, cela permet de repérer et évaluer les opportunités à saisir, les menaces à éviter, ainsi que les liens de cause à effet possibles. Ainsi, il devient plus aisé de s’adapter au fur et à mesure que l’on voit arriver les vagues, avant qu’elles ne puissent nous submerger. Puisque tout dans notre environnement est interrelié et peut contribuer à la réussite ou à l’échec d’un projet, nous devons idéalement considérer les grandes variables suivantes: culturelle; démographique; politique et légal; économique; écologique.[7]
Toutefois, bombardés d’information (et de désinformation!) comme nous le sommes en permanence, il importe de détenir et maîtriser des notions de base en recherche documentaire et aussi, de savoir évaluer la qualité des sources. Si cela vous intéresse, je propose le guide de recherche documentaire développé par l’Université de Montréal : ICI
Il est également possible de s’inscrire gratuitement à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) et ainsi, d’accéder en ligne à une multitude de bases de données de textes de qualité scientifique (dans tous les domaines) que nous ne retrouvons pas librement via les moteurs de recherches tels que Google.

Considérant qu’un grand nombre de personnes s’informent essentiellement auprès des grands médias (télé, presse écrite, radio…), j’estime important de s’intéresser à quelques sujets qui étaient au cœur de ma formation en communication publique à l’Université Laval, où se situe d’ailleurs le CEM – Centre d’études sur les médias. Certaines informations sont encore trop méconnues du grand public, alors qu’elles nous concernent tous. Je fais référence aux malheureux effets de la concentration des médias et de la crise qu’ils traversent depuis plusieurs années. Cela affecte, entre autres, la qualité des informations qu’on nous propose. Sans développer outre mesure à propos de ces sujets complexes, j’ai trouvé un article (septembre 2019) du journal de l’Université de Sherbrooke qui, selon moi, vulgarise la situation en quelques paragraphes: ICI. Bien entendu,il s’agit d’un très bref résumé, mais il devrait permettre à ceux et celles qui ne sont pas familiers avec la situation de se faire une première idée.
Ces problématiques ne datent pas d’hier, comme en témoigne ce texte publié dans le journal Le Devoir en 2010, à propos de la concentration des médias. Si vous souhaitez aller un peu plus loin, je vous propose également cette enquête publiée en 2016, par le département d’études en communication publique de l’Université Laval intitulée « Bouleversements médiatiques et qualité de l’information ». Malheureusement, la situation ne s’est pas améliorée depuis. Ainsi, il m’apparait primordial d’exercer également son esprit critique à l’égard des contenus proposés par nos grands médias, comme avec toutes autres sources d’information.
Dans tous les cas, plus nous développons des connaissances sur différents sujets et plus nous réalisons que nous ne savons rien de rien. À mon humble avis, c’est une raison de plus pour se questionner et chercher à s’informer.
- Aiguiser son intuition et lui faire confiance
De nombreux grands entrepreneurs, créateurs, inventeurs et scientifiques admettent préférer se fier à leur intuition lorsque vient le temps de choisir une direction plutôt qu’une autre. Selon plusieurs spécialistes de la gestion et du comportement humain, l’intuition est effectivement considérée comme un élément clé dans la prise de décision, surtout « dans un contexte de risque ou d’incertitude. »[8] Certains la définissent « comme la faculté de connaitre ou de déceler rapidement et sans hésiter les possibilités d’une situation donnée. » [9] Il s’agit d’un « processus cognitif par lequel une personne prend une décision de manière inconsciente, à partir de sa propre expérience et de ses connaissances. »[10]
Selon le célèbre auteur Malcolm Gladwell, l’intuition serait une sorte de clairvoyance instantanée. Pour lui, « il n’y a rien de magique ou d’ésotérique dans ce concept. Une connexion se fait en une fraction de seconde, résultat d’expériences, de rencontres et de lectures accumulées au fil des ans. »[11] D’où l’importance, entre autres, de développer constamment ses connaissances, ses expérimentations et sa pensée critique afin d’aiguiser son intuition.
Mais alors, comment s’assurer que nous sommes réellement en train de suivre notre intuition?
Un collectif d’auteurs en gestion précise : « Lorsqu’une personne prend une décision qui respecte sa nature profonde, elle le sait par le réconfort qu’elle en retire. Les bonnes décisions sont les meilleurs tranquillisants; les mauvaises décisions ont souvent pour effet d’accroître notre anxiété. Il faut donc toujours sonder ses sentiments profonds, ne jamais faire taire son intuition. » [12]
- S’intéresser aux études sur le comportement humain
Au cœur des théories en gestion, en communication publique (médias; relations publiques; publicité; marketing…) et en vente, il y a les études portant sur le comportement humain. C’est logique.
Après tout, comment parvenir à développer des compétences dans ces domaines si l’on ne s’intéresse ni à notre propre fonctionnement ni à celui des autres?
À titre d’exemple, nous sommes tous affectés par des biais cognitifs. Il s’agit de distorsions de l’information, des déviations de la pensée dues à nos croyances (parfois bien ancrées dans l’inconscient), nos habitudes et nos préférences. Ces biais viennent influencer, entre autres, notre capacité à bien raisonner et à évaluer les informations reçues et les situations. Notre cerveau fonctionne ainsi. Traitant en permanence une infinité de données, il compartimente automatiquement. C’est l’une des raisons pour laquelle les vendeurs professionnels sont formés pour faire attention à leurs propres biais afin de s’assurer de bien répondre aux besoins réels de leurs clients.
Le cerveau humain est si complexe et les études à ce sujet sont si vastes qu’il serait probablement impossible d’en faire le tour en une seule vie. Néanmoins, s’informer sur le fonctionnement de l’être humain à travers diverses approches scientifiques peut favoriser notre développement à différents niveaux. Cela explique que de nombreux artistes et entrepreneurs s’avèrent de grands consommateurs de lectures, conférences et formations portant sur le développement personnel. Évidemment, ces connaissances que nous accumulons peuvent transformer nos vies uniquement si nous les expérimentons et les répétons, comme pour n’importe quel type d’entrainement.
C’est Edward Bernays, aussi appelé « le père des relations publiques » qui fut l’un des premiers à utiliser les études du comportement humain dans la sphère des communications. Certains disent également qu’il est l’inventeur du marketing et de la manipulation de l’opinion publique. Neveu du psychanalyste Sigmund Freud, il s’inspira des études de ce dernier, mais aussi, de divers travaux en psychologie sociale pour développer ses théories au service du monde politique, des personnalités publiques et des entreprises. Si cela vous intéresse, il est possible de visionner un documentaire à son sujet, intitulé « Propaganda, la fabrique du consentement » : ICI
Décédé en 1995, l’héritage qu’il a laissé au monde des communications publiques est colossal et, encore aujourd’hui, des entreprises n’hésitent pas à faire appel aux services de grands experts du comportement humain, tel que Nir Eyal. Ce dernier est notamment reconnu pour aider à rendre « addictives » des applications de jeux vidéo (et autres types de produits). Paradoxalement, il offre aussi ses services pour aider à se débarrasser de mauvaises habitudes comportementales…
L’entreprise Apple représente un autre exemple intéressant sur lequel nous avons eu à nous pencher plus d’une fois pendant mes études en management et aussi, en communication publique. En effet, c’est grâce aux connaissances sur le comportement humain que l’entreprise est parvenue à provoquer chez ses fans une réponse cérébrale très similaire à celle observée chez les personnes particulièrement « religieuses ». En d’autres mots, les stratégies de communication marketing employées par l’entreprise sont développées pour venir stimuler « la même zone du cerveau que l’imagerie religieuse chez une personne dévote. » [13] Selon des neuroscientifiques ayant étudié ces phénomènes, il apparait évident que les grandes marques ciblent des zones cérébrales en particulier à travers leurs stratégies de communication marketing.[14] Bien entendu, ces phénomènes font aussi en sorte que l’on s’intéresse rarement de près à la responsabilité sociale souvent douteuse de certaines d’entre elles, notamment en matière de droits de la personne.[15]
Vous l’aurez sans doute compris, si les connaissances du comportement humain permettent de manipuler le public, elles peuvent aussi, au contraire, servir à se défaire de cette manipulation. Elles peuvent nous aider à une meilleure connaissance de soi et aussi, à mieux agir pour le bien commun, avec plus de bienveillance à l’égard de soi-même et des autres. Le marketing n’a rien de mauvais en soi et il est nécessaire pour promouvoir vos créations et rejoindre votre public. En fait, tout dépend des intentions derrière les stratégies utilisées et des effets qu’elles engendrent sur le bien commun.
- Apprendre à maîtriser et à dépasser ses peurs
D’emblée, la peur est normale et directement liée à l’instinct de survie. En effet, elle permet de réagir rapidement en situation de danger imminent. Elle est également saine si elle nous incite à modifier des comportements néfastes ou à poser des actions positives afin d’éviter des ennuis. Ainsi, elle aide à relever les défis et difficultés qui s’annoncent dans nos vies. Par exemple, modifier des habitudes de surconsommation nuisibles pour l’environnement ou encore, pour notre santé.
Vous comprendrez donc que je fais plutôt allusion au dépassement des peurs et angoisses qui nous inhibent et nuisent à notre évolution et à notre bon développement, sujet déjà abordé plus largement sur ce blogue : ICI. Je réfère aux peurs qui nous font nous accrocher désespérément au passé ou encore, à des « zones de confort », même lorsque nous n’y trouvons plus grand-chose de satisfaisant. Évidemment, c’est plus facile à dire qu’à faire, je le sais trop bien.
En fait, saviez-vous que l’une des peurs les plus répandues dans notre société est celle du jugement des autres? [16] D’ailleurs, cela revient constamment à travers les confidences que je reçois des artistes, ce qui rend notamment si difficile l’autopromotion chez certains. C’est également la peur qui m’afflige le plus régulièrement. Peu importe de quelles manières ces peurs du jugement se traduisent et à quels niveaux elles nous impactent, nous nous empêchons souvent de nous réaliser et d’être nous-mêmes pour éviter de déplaire ou déranger.
Mais est-ce que ces craintes dans lesquelles nous nous emprisonnons parfois sont bénéfiques pour notre santé physique et mentale?
Selon des études scientifiques portant sur les effets de la peur sur le système immunitaire, il semble que non :
« Accompagnant depuis la nuit des temps la vie des hommes, le stress n’apparaît pas sans conséquences sur leur état de santé. Le rôle des peurs, des émotions et des contraintes prégnantes dans l’apparition de maladies organiques ou psychiques a, depuis longtemps, fait l’objet d’observations cliniques. »[17]
De plus, le célèbre auteur et médecin psychiatre Christophe André mentionne que la peur, si elle est intense et occupe trop de place dans nos pensées, « n’aidera pas à faire les meilleurs choix face au danger. » [18]
Selon le psychiatre, « c’est réfléchir, agir et répéter qui nous fait évoluer. Notre cerveau est conçu pour l’action, avant de l’être pour la pensée ». Il ajoute qu’en réalité, nous ne comprenons et ne changeons rien à nos vies, tant que nous ne transposons pas les fruits de nos réflexions en actions. [19]
- S’ouvrir davantage à la diversité
Que ce soit pour encourager une culture de la créativité, de l’innovation ou encore, pour trouver des solutions à des problèmes complexes, certaines conditions ont avantage à être réunies. Il importe, entre autres, d’encourager les remises en question afin de contrer la pensée homogène constituant souvent une limite à l’innovation et à l’émergence d’idées nouvelles. [20]
Ainsi, quoi de mieux que de s’ouvrir davantage à la diversité afin de réunir ces conditions?
Bien entendu, j’entends par diversité les facteurs habituels suivants : origine géographique, socioculturelle, âge, sexe, orientation sexuelle, croyances, valeurs, etc. Toutefois, au-delà de ces facteurs, j’entends aussi davantage d’ouverture et de collaborations singulières entre les différentes disciplines artistiques et aussi, entre divers secteurs d’activités (exemples : art et affaires; art et santé; art et éducation; art et sciences; etc.). Certes, il y a de plus en plus de belles et fructueuses initiatives en ce sens, mais selon moi, il y a encore d’infinies possibilités à explorer.
Lorsque nous rassemblons des personnes ayant des valeurs et des points de vue différents, nous pouvons, par exemple, aborder des problèmes ou entrevoir de nouvelles avenues d’une manière plus enrichissante, en explorant différentes facettes.[21] Toutefois, il est vrai que l’acceptation et la tolérance envers des opinions et des cultures parfois diamétralement opposées aux nôtres s’avèrent un défi de taille. En effet, la diversité « rend plus difficile le fonctionnement sans heurts. » [22] Cela engendre souvent de la dissonance cognitive, « un état de tension due à la présence d’éléments (des connaissances, des croyances, des opinions) qui s’opposent ou sont incompatibles entre eux. »[23]

Tel que le propose Christophe André, pour s’ouvrir aux différences et à la diversité, il importe de « s’entraîner à ne pas juger ». Pour nous aider à comprendre, il explique ce qui est appelé en psychologie : l’effet d’étiquetage. Cela signifie qu’une fois « un jugement porté sur quelqu’un, il est difficile de revenir dessus, car toutes les actions ultérieures seront alors sous l’influence de ce jugement. Nous aurons tendance à mémoriser ce qui confirmera notre étiquetage, et à refouler ce qui ne le confirmera pas. C’est ce que l’on nomme un biais d’exposition sélective : on choisit de préférence les informations qui confirment nos croyances et nos préférences. » Afin de s’en libérer, le psychiatre suggère un exercice d’initiation plutôt simple qui consiste, par exemple, à lire des journaux ou écouter des nouvelles avec lesquels nous ne sommes pas d’accord, « non pour pester, mais pour observer et comprendre leurs raisonnements et leurs arguments. »[24] Disons qu’actuellement, les réseaux sociaux représentent l’occasion idéale de passer à un niveau d’entrainement supérieur…
Bien entendu, cela représente un immense défi de se changer soi-même, surtout lorsque nous sommes confrontés dans nos valeurs profondes. Toutefois, il est avantageux de développer des compétences en matière de diversité. En plus d’accroitre la créativité, de stimuler l’innovation et d’aider à résoudre des problèmes complexes, il a été démontré que cela favorise l’ouverture d’esprit, le développement de nouveaux marchés et des publics, en plus de contribuer à créer un climat social favorable. [25]
- Trouver sa voie et exprimer sa singularité
Dans son livre « Unique(s) – Et si la clé du monde de demain, c’était nous? », le docteur spécialisé en intelligence artificielle, Alexandre Pachulski nous invite à considérer l’une de nos ressources les plus précieuses pour la construction d’un monde meilleur; nos singularités en tant qu’êtres humains. Dès les premières lignes de son ouvrage, il mentionne :
« Rien dans notre société, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, ne nous aide à exprimer notre singularité, notre différence, nos talents, nos aspirations. Rien ne nous aide à trouver le chemin qui n’appartient qu’à nous, à aligner ce que nous faisons à ce que nous sommes. »[26]
Je partage la même idée que Pachulski. D’ailleurs, je m’intéresse depuis quelques années à la construction de l’identité créative et à la singularité chez les artistes. Lorsque je rencontre une personne, j’aime chercher ce qui la rend unique et comment cette unicité pourrait être mise davantage en valeur et à contribution. Alors, je me sens déphasée dans un système qui encourage la plupart du temps la conformité, le paraître, la division, la comparaison et la compétition. Dès qu’une personne ou une entreprise obtient du succès en ayant l’audace de se démarquer avec authenticité, d’autres cherchent ensuite à l’imiter. Or, les secteurs des arts et de la culture font partie ce que l’on appelle le marché des singularités. Il n’y a donc pas d’intérêt à vouloir imiter les autres pour réussir et se réaliser en tant qu’être humain, au contraire.
Dans un monde où la standardisation, la robotisation et l’intelligence artificielle se déploient à une vitesse fulgurante, de nombreux métiers sont amenés à disparaitre dans les années à venir. Pour ces raisons et bien d’autres facteurs environnementaux, Pachulski croit que les personnes qui auront appris à affirmer et à partager avec les autres ce qui les rend uniques pourront difficilement être remplacées par des machines. Celles ayant développé des aptitudes pour apprendre et désapprendre en permanence afin de s’adapter aux changements rapides, sont celles dont les compétences seront en demande dans le monde de demain.
Ainsi, il me semble qu’avec leurs parcours souvent atypiques, leur résilience, leur habilité à faire de l’extraordinaire avec peu de moyens, leur aptitude à penser en dehors de la boite, leur débrouillardise, leur capacité d’adaptation et leur hypersensibilité, de nombreux artistes sont déjà bien entraînés pour la suite des choses.
Le rôle des artistes pour la création d’un monde meilleur
Tout du contexte actuel me porte à croire en l’important rôle que peuvent jouer les artistes pour la construction d’un monde meilleur. Il suffit de s’intéresser un tant soit peu à l’histoire pour constater que l’humanité a toujours eu besoin d’art, tout comme elle a besoin de boire et de manger. À toutes les époques, les artistes, créateurs et inventeurs furent ceux qui osèrent sortir du cadre ou de l’obscurantisme ambiant pour proposer au reste du monde, de nouvelles façons de concevoir, de penser, de créer et de construire.
Dans son essai « Pour nous libérer les rivières – Plaidoyer en faveur de l’art dans nos vies », le cinéaste et producteur Hugo Latulippe insiste également sur le rôle majeur des artistes pour refonder le monde. Je cite un passage :
« Je suis d’avis qu’à ce moment-ci de l’histoire humaine – à l’heure de l’urgence climatique absolue – les arts peuvent contribuer à nous déboiter et nous permettre de basculer salutairement dans une nouvelle époque. »
Hugo Latulippe, cinéaste et producteur
Il invite les artistes à oser inventer de nouvelles façons d’exister avant d’ajouter :
« Tout me mène à cette idée simple : si l’art peut déclencher des renversements dans nos vies, pourquoi pas dans le monde? »[27]
C’est aussi ce que je pense.
Chers artistes, vous avez la capacité, le don de toucher les âmes et même, de les soigner. Alors, permettez-vous plus que jamais d’exister, de vous déployer, de rayonner et d’inspirer, malgré l’incertitude. Ayez confiance en ce pour quoi vous êtes ici, en ce qui vous anime. Notre Humanité en a besoin.
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Sources:
[1] Van Rillaer, Jacques, « La gestion de soi », Éditions Mardaga, 2019, p. 208-209.
[2] Mintzberg, Henry, « Gérer dans l’action », Les Éditions Transcontinental, 2014, p. 19.
[3] Ibid, p. 237.
[4] De Visscher Héloïse, Latinis Philippe, « Le sens critique. Et quoi encore ? », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2015/1 (Numéro 105), p. 99-118. En ligne via CAIRN : https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2015-1-page-99.htm
[5] Caroti, Denis, « Pensée critique ? Esprit critique ? Un peu de théorie », CORTECS, 13 novembre 2010. En ligne : https://cortecs.org/publications-recherche/pensee-critique/
[6] De Visscher Héloïse, Latinis Philippe, « Le sens critique. Et quoi encore ? », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2015/1 (Numéro 105), p. 99-118. En ligne via CAIRN : https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2015-1-page-99.htm
[7] Colbert, François et Suzanne Bilodeau, « Le marketing des arts et de la culture), (3e éd édition, xviii tome), Montréal, G. Morin/Chenelière Éducation, 2007, p. 91.
[8] Schermerhorn, John R. Jr, Hunt, James G., Osborn, Richard N. et de Billy, Claire, “Comportement humain et organisation », 4e édition, Erpi, 2010, p. 369.
[9] Ibid, p. 369.
[10] Dessler, Gary (dir.), Desaulniers, Luc, Forgues, Jean-François et Grenon L., Philip, « La Gestion des organisations – Principes et tendances au XXIe siècle », 2e édition, ERPI, 2009, p. 142.
[11] Cayouette, Pierre. « La force de l’intuition », Les Affaires Plus, 1er mars 2009. En ligne : https://www.lesaffaires.com/strategie-d-entreprise/management/la-force-de-l-intuition/498831
[12] Dessler, Gary (dir.), Desaulniers, Luc, Forgues, Jean-François et Grenon L., Philip, « La Gestion des organisations – Principes et tendances au XXIe siècle », 2e édition, ERPI, 2009, p. 143.
[13] Mogg, Trevor, «Apple causes ‘religious’ reaction in brains of fans, say neuroscientists », Digitaltrends, 19 mai, 2011. En ligne: https://www.digitaltrends.com/apple/apple-causes-religious-reaction-in-brains-of-fans-say-neuroscientists/
[14] Ibid.
[15] Amnesty International, « Travail des enfants – Les géants négligent leurs chaînes d’approvisionnement en cobalt pour les batteries », communiqué de presse publié le 17 novembre 2017. En ligne : https://www.amnesty.ch/fr/themes/economie-et-droits-humains/docs/2017/les-geants-industriels-negligent-leurs-chaines-d-approvisionnement-en-cobalt-pour-les-batteries#
[16] André, Christophe, « Psychologie de la peur – Craintes, angoisses et phobies », collection Psychologie, Éditions Odile Jacob, 2009, p. 21; 218-219.
[17] Jacque, C. et Thurin, J.-M. « Stress, immunité et physiologie du système nerveux », M/S : médecine sciences, 18 (11), 2002, p. 1160–1166. https://www.erudit.org/fr/revues/ms/2002-v18-n11-ms406/000475ar.pdf
[18] André, Christophe, « Psychologie de la peur – Craintes, angoisses et phobies », collection Psychologie, Éditions Odile Jacob, 2009, p. 84.
[19] André, Christophe, « Imparfaits, libres et heureux – Pratiques de l’estime de soi », collection Psychologie, Éditions Odile Jacob, 2009, p. 76.
[20] Dessler, Gary (dir.), Desaulniers, Luc, Forgues, Jean-François et Grenon L., Philip, « La Gestion des organisations – Principes et tendances au XXIe siècle », 2e édition, ERPI, 2009, p. 146-147.
[21] Dessler, Gary (dir.), Desaulniers, Luc, Forgues, Jean-François et Grenon L., Philip, « La Gestion des organisations – Principes et tendances au XXIe siècle », 2e édition, ERPI, 2009, p. 113.
[22] Ibid, p. 113.
[23] De Visscher Héloïse, Latinis Philippe, « Le sens critique. Et quoi encore ? », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2015/1 (Numéro 105), p. 99-118. En ligne via CAIRN : https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2015-1-page-99.htm
[24] André, Christophe, « Imparfaits, libres et heureux – Pratiques de l’estime de soi », Éditions Odile Jacob, collection Psychologie, 2009, p. 294-295.
[25] Chicha, Marie-Thérèse et Saba, Tania (dir.), « Diversité en milieu de travail : défis et pratiques de gestion », HEC Montréal, Collection Gestion et Savoirs, 2010, p. 9; 64.
[26] Pachulski, Alexandre, « Unique(s) – Et si la clé de demain, c’était nous? », Éditions E/P/A, 2018, p. 7.
[27] Latulippe, Hugo, « Pour nous libérer les rivières – Plaidoyer en faveur de l’art dans nos vies », Collection Documents, Atelier 10, 2019, p. 14.
2 réponses à “Artistes et travailleurs culturels : avancer et se développer malgré l’incertitude”
Merci beaucoup pour cet article très intéressant et le partage de votre vision !
Je suis totalement pour le fait d’exprimer sa singularité !! :-))
Bonne fin d’année 2020 et belle année 2021 !
Un grand merci Céline, c’est très apprécié!! Une belle année 2021 à vous également! Et vive la singularité!! 😉